Imaginez que votre école soit emportée dans une dimension parallèle alors que vous veniez de dire des choses horribles à votre mère. Ici, Kazuo Umezu, loin de simplement conter une histoire horrifique où les massacres s'enchaînent, nous raconte une "histoire qui fait peur" en nous proposant le point de vue des enfants. Période lointaine pour certains, cette époque d'insouciance est désormais révolue, mais l'auteur met le doigt où il faut et réussit un coup de maître. Les enfants ont peur, mais ne réagissent pas comme les adultes qui, eux, ne sont plus enseignants mais pensent seulement à leur propre survie, alors que les enfants s'entraident et restent unis. Nous pouvons alors nous questionner sur la rationalité des comportements adultes : à force de toujours trop réfléchir et calculer ses actes, l'adulte se renferme sur lui-même et cherche à dominer les autres par tous les moyens plutôt que de réfléchir à un moyen de sauver l'école… Enfin, je vous laisse voir cela par vous-même, mais le regard de Umezu est vraiment juste et reflète bien la réalité (lisez d'ailleurs "Sa Majesté des Mouches" de l'Anglais William Golding, mon roman favori).
Série de 1972, ne vous attendez pas à un graphisme moderne. Au contraire, vous trouverez ce qui a fait la force des manga à cette époque : des dessins dynamiques, vivants et absence des trames (ou presque). Le trait détaillé, vif et très expressif, les sentiments sont parfaitement représentés et le jeu de lumière est vraiment hallucinant. Quant à la mise en page, elle est très bonne et a un côté cinématographique; Kazuo Umezu a un réel don pour le découpage de l'action.
Cette bande dessinée est vraiment entraînante, nous nous plongeons dans le récit dès le départ grâce à une "introduction" tout bonnement excellente. Petit à petit, l'école prend un côté malsain, l'air devient irrespirable du côté des professeurs, mais les élèves donnent un nouveau souffle à la lecture, une certaine fraîcheur. Cela donne trois cent pages très équilibrées où scènes de courages suivent trahisons…
Il est assez intéressant de voir les remords des personnages, leurs changements de personnalité ou la force et la détermination des jeunes enfants. Une palette de personnages variés, attachants ou pas, mais en tout cas réussis. Il y en a des forts, des téméraires, certains ont de l'initiative, du courage, alors que d'autres sombrent dans la peur et la tristesse... Vraiment, du tout bon, et une mention spéciale à Shô et son professeur, mais je vous laisse découvrir vous-même pourquoi.
Le thème me semble très original et le point de vue adopté encore plus. En nous faisant fouiller dans nos souvenirs de l'enfance la plus lointaine, nos peurs (la peur du noir, par exemple), Umezu réussi un coup de maître : nous nous prenons au jeu. Comme quoi, même plus de trente ans après sa sortie, un chef-d'œuvre reste un chef-d'œuvre, et il ne perd rien de sa force ni de son originalité.
C'est un réel bonheur de voir cette œuvre si reconnu au Japon finalement arriver en France. D'une très grande qualité, et ce sur bien des points, L'Ecole Emportée s'impose très certainement comme l'un des meilleurs titres du genre sur le marché français. C'est défoulant, agréable à l'œil, bien narré, le scénario est d'une grande justesse et le tout est très bien pensé, alors faites-vous plaisir avec ce très bon titre qui deviendra, sans aucun doute, un indispensable.