Ce qui frappe le lecteur dans Les Lamentations de l’Agneau, c’est la manière dont l’histoire et racontée, dans un cadre intime et souvent contemplatif. Nous suivons les personnages, voyons comment ils réagissent face à leur maladie (et par extension, à leur destin), mais il n’y a pas de passages au rythme effréné, plutôt de longues conversations intelligemment construites qui donnent à l’œuvre une réelle profondeur. Chaque événement a son utilité et renforce l’intérêt premier de cette série, son aspect très psychologique et poussé, les protagonistes sont énormément travaillés et nous essayons de les comprendre. Le fait que Kazuna soit assez proche de nous renforce cette intimité entre le lecteur et le personnage, comment réagirions-nous si nous étions dans le même cas que lui ? Est-ce qu’un jeune vampire peut mener une vie normale sans boire de sang humain ? En cela, cette bande dessinée de Tôme Kei se démarque, elle décrit une vie normale (voire même assez banale) qui se voit bouleversée par une maladie unique au monde, le rythme est très calme et posé, des interrogations ne cessent de survenir et nous sommes loin de ce qui se fait habituellement. Un récit fin et subtilement narré, de très bonnes idées et un point de vue surprenant font de ce manga un régal atypique.
Dans ce troisième volume, paru un an après le volume précédent, les graphismes se sont énormément améliorés. Déjà sublimes dans les tomes précédents, ils perdent ici tous les défauts que nous pouvions reprocher au dessin de Tôme (c’est-à -dire quelques légers problèmes de morphologie). Une fois ces rares problèmes mis de côté, cette BD japonaise devient une réelle œuvre d’art, chaque planche nous stupéfait tant elles sont maîtrisées, personnelles et artistiques. En effet, son coup de crayon possède un très fort caractère, une empreinte à part et un tracé fin parfois crayonné qui confèrent à ce seinen manga une qualité graphique irréprochable, à l’image de la magnifique couverture. Ce dessin raffiné porte, dans Les Lamentations de l’Agneau (car ce n’est pas le cas dans Sing « Yesterday » for Me », par exemple), une atmosphère gothique et superbe, permise notamment grâce à un parfait encrage et une maîtrise incroyable du noir et blanc. Un travail époustouflant !
Dans ce troisième album de la série, Minase et Chizuna se dévoilent, nous apprenons à mieux les connaître et surtout à les comprendre. Mais il reste toujours aussi passionnant de voir comment Kazuna arrive à s’adapter à sa nouvelle vie, à vivre avec cette maladie et découvrir sa sœur tout juste retrouvée. Aucun personnage n’est conventionnel, il n’y a pas d’archétypes et nous évitons tous les stéréotypes, ainsi, nous avons quelque chose de purement « tômien », des protagonistes torturés et doux, sensibles et vrais.
La vision moderne et intelligente des vampires que nous offre l’auteur est vraiment intéressante. Nous nous éloignons du stéréotype du vampire qui boit du sang par plaisir pour une idée plus raffinée, un être qui a des crises durant lesquelles il ne veut que du sang, mais il ne vit aucunement pour cela. Ici, les membres de la famille Takashiro frappés par cette étrange maladie en souffrent, ils ont peur d’eux-mêmes et de ce qu’ils pourraient faire aux êtres qui leurs sont chers, et ne pas faire souffrir ces derniers demande beaucoup de courage car le seul moyen est de couper les ponts… Plus qu’une histoire de sang, il s’agit de trouver une manière de vivre malgré ce problème, c’est une question à laquelle nous aurons sûrement une réponse d’ici peu. Espérons que Tôme parvienne à toujours rester en dehors des sentiers battus et à nous décrire son interprétation du mythe de Dracula…
Ce tome comme la série entière Les Lamentations de l’Agneau est une pure merveille, unique, moderne et très proche de l’auteur. Le graphisme est impressionnant, le scénario fascinant, c’est ça, le talent de Tôme Kei, l’une des plus grandes mangaka de sa génération. Un chef-d’œuvre qui ne manquera pas de nous tenir en haleine pendant encore près de huit cent pages. Génial, tout simplement. Hitsuji no Uta © Tôme Kei 2002 / Gentosha Comics Inc. Tôkyô.