Composé des derniers chapitres de Tsuru – Princesse des Mers et de deux autres récits historiques de Mori Hideki (Rêve Suprême sur le Champ de Bataille, Double Tamaru), ce volume d’un peu plus de deux cent pages est construit de manière remarquable. Les derniers chapitres de la série sont une réussite totale, il s’agit d’un brillant mélange entre différents genres. Nous avons ainsi droit à d’intéressantes réflexions sur l’époque (la peur de l’étranger au Japon, la manière dont les occidentaux voyaient ce pays…), et à des personnages réussis tels l’intrigant Sabae et la fougueuse Tsuru; le tout est porté sur un ton épique qui permet une lecture sans le moindre temps mort. Il est aussi agréable de constater à quel point le fond historique est consistant, car, grâce à un souci du détail épatant et un style quasiment documentaire, nous nous rendons bien compte des nombreuses recherches qu’a fait l’auteur sur le sujet.
Les histoires courtes qui accompagnent l’œuvre principale sont plutôt enrichissantes puisqu’elles nous en apprennent plus sur le Japon, ses rites et sa culture, mais ces deux nouvelles sont tout de même loin d’être indispensables et n’atteignent pas le niveau de Tsuru.
Pour ce qui est du graphisme, nous pourrions presque parler de sans-faute. Epuré de toute trame, le dessin est d’une pureté et d’une maîtrise rares. Le style si particulier de Mori laisse une part importante aux hachures, chaque planche fourmille de détails et le tracé réaliste est saisissant, tant au niveau des corps que des expressions faciales. C’est époustouflant, une vie se dégage des cases, les mouvements n’ont jamais l’air figés et la beauté des passages en mer est impressionnante. Certes, tout le monde n’approuvera pas ce réalisme, ces planches sombres et peu aérées, mais force est de constater le travail colossal de l’auteur qui nous offre un aspect visuel à la hauteur de l’histoire, mené de main de maître par un découpage réussi bien que classique.
Quant aux deux nouvelles, nous y voyons déjà les bases d’un bon coup de crayon, mais ce n’est pas encore aussi maîtrisé que dans Tsuru.
Peur de l’étranger, société traditionnelle, nous voici dans le Japon féodal et la majorité de l’action se déroule en mer. Le fond historique utilisé permet de créer un scénario et des personnages crédibles, mais cela nous donne également l’occasion de découvrir une période peu connue du Japon. L’univers maritime est vraiment bien exploité, et l’ambiance des histoires courtes est particulièrement prenante et assez oppressante. L’atmosphère n’est donc ni trop lourde ni trop légère, elle connaît un bon équilibre et sait être mûre et réfléchie par moment, mais aussi parfois plutôt fraîche (la danse de la princesse Tsuru aux pages 73, 74 et 75).
Les personnages de ce manga sont parfois d’une complexité étonnante, notamment Sabae. Ce protagoniste est manipulateur, il apprécie énormément Tsuru, son comportement est original, tout comme sa manière d’être. Le jeune étranger sauvé de la maladie des mers s’avèrera important pour l’histoire, mais il montre également le large fossé qui sépare le Japon de l’occident. Pour terminer, Tsuru est réellement attachante, jolie et dispose d’un charme indéniable, son côté « femme forte » la rend unique, car il est assez exceptionnel de voir ce type de personnage féminin dans le milieu de la bande dessinée. Autour d’eux, il existe toute une palette de marins, de seigneurs, etc. La plupart ont un petit quelque chose qui réussit à éveiller notre attention et notre curiosité.
La bande dessinée s’attaque au milieu marin, aux îles de Seto’Uchi et à une période de l’histoire japonaise peu utilisée dans les séries parues en France jusqu’à présent (la période Muromachi). Mori sait créer des histoires originales et surprenantes, en échappant aux nombreux stéréotypes et au désagréable manichéisme. Ici, vous n’aurez de cesse d’être stupéfaits par la tournure des évènements, et ce, aussi bien dans l’œuvre principale que dans les nouvelles qui l’accompagnent.
Parfait exemple de manga concis mais réussi, en seulement trois volumes de Tsuru – Princesse des Mers, Mori Hideki a su éveiller en nous un sentiment d’émerveillement. Le scénario est complexe, le dessin hallucinant de maîtrise, et nous sommes tout de suite plongés dans ce monde pourtant si éloigné du notre. Une lecture vivement recommandée, d’autant qu’elle est dotée d’intéressantes notes explicatives. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à attendre la publication de Tengu chez Akata / Delcourt d’ici peu, ou alors se procurer la série Stratège, en onze volumes chez Tonkam (ce que je vais essayer de faire). UMIZURU © 2000 by Mori Hideki / Shogakukan Inc., Tôkyô.